La Jonction, une histoire moderne

A Genève, la plaine qui s'étend depuis le pied de la vieille ville jusqu'aux bords du Rhône et de l'Arve, se terminant en pointe à la jonction des deux cours d’eau, est devenue ce qu’on appelle aujourd’hui le quartier de la Jonction.

Cette plaine était fréquemment inondée par les crues de l’Arve, et seulement après les travaux d'endiguement entrepris dès le XIVe s., les terrains de la Jonction deviennent utilisables. Durant des siècles, la plaine de Plainpalais et la Jonction ont été le jardin de la cité, lieu de promenade qui aboutissait à des jardins sauvages à la pointe de la Jonction. Par ailleurs, les terrains accueillaient des cultures maraîchères et des plantations d'arbres.

Deux faubourgs vont se développer dans la région de Plainpalais : d’une part St.Léger, et d’autre part le faubourg du Palais ou de la Corraterie qui s'étendait du pont de l’île jusqu'au pont de la Coulouvrenière, quartier plus riche, où l'on trouvait des auberges, de belles demeures, un couvent dominicain et où on installa, en 1482, l'hôpital des pestiférés, entouré d'un cimetière.

Suite à la Réforme (1536) et à des querelles entre Genève et le duc de Savoie, les faubourgs furent démolis, seul l'hôpital et le cimetière, qui devint communal, furent épargnés.

Genève, refuge des réformés, voit alors sa population augmenter fortement.

Etant donné l’impossibilité de loger la totalité des personnes à l'abri des fortifications on assiste, à nouveau, au développement des faubourgs, auparavant démolis. L'occupation de l'espace se fait de manière désordonnée (ou spontanée), et n'exprime aucune sorte de régularité de l'implantation du bâti dans un parcellaire. A cette époque, ce sont plutôt les découpes du territoire, dues aux variétés des cultures, qui influencent la structuration du territoire. Les terrains au-delà des faubourgs restent liés à la culture maraîchère.

Vers 1800, ce territoire devient une commune et on assiste dès 1820 à un fort développement démographique et à la présence de petits artisans-ouvriers qui accentuent le caractère populaire de cette zone.

Nouvelles énergies et développement industriel

Avec l'implantation de l'Usine à Gaz (1844), sur les terrains du site de l’actuel écoquartier de la Jonction, qui servait à dispenser l'éclairage au gaz de la ville, on assiste à l'évolution des techniques, au passage progressif de l'énergie hydraulique pour de nouvelles énergies, au premier développement industriel sur les terrains de la Coulouvrenière tout au long du XIXe s.

C’est lors de la destruction des fortifications que la Jonction perd son caractère de faubourg extra-muros même si la construction de la ceinture Faziste, avec ces îlots aérés orthogonaux, constitue encore une limite visible entre la Jonction et le centre-ville. Le quartier prendra forme autour de la plaine et le long de ces chemins. On peut déjà y lire une certaine séparation du bâti: les moulins le long des rives, du résidentiel ou agricole ponctuel en bordure de chemin.

Mixité des activités

Dans les années 1870, le quartier acquiert une nouvelle vocation, du fait qu’à côté de l’agriculture et de l’industrie viendront s'implanter des bâtiments du service public, ainsi que des lieux de divertissements et de loisirs, favorisant une certaine mixité d’activités.

L'exposition nationale en 1896, qui a eu lieu sur la plaine de Plainpalais et sur l'autre rive de l'Arve, donne une accélération dans la réorganisation urbaine. Le premier grand remaniement fut le déplacement du cimetière de la ville (anciennement des pestiférés) à Saint-Georges (Petit-Lancy) en 1897.

Réorganistations du quartier à travers les décennies

Très important pour l’organisation urbaine du quartier sera la mise en place du réseau des rues, prévu dans le plan d’urbanisation Camoletti & Henneberg (1876), rayonnant à partir du rond-point avec la réalisation du Bd Carl-Vogt et du Bd Saint-Georges, ainsi que le début du tracé de la rue du Stand. Plusieurs ponts sont réalisés pour assurer les liens avec les autres communes environnantes. Quelques usines, dont l'usine de dégrossissage d'or et l'usine Kugler, fonctionnant à la vapeur, ont remplacés les moulins.

Outre le développement des industries sur les terrains de la Coulevrenière, on assiste à l'implantation des abattoirs du côté de la rive de l’Arve. La fin du XIXe s. représente une période de développement important pour le quartier de la Jonction avec notamment l'implantation d’une série d’industries, suite à la construction de l'Usine des forces motrices (1892). Ce développement industriel, qui nécessite une main-d’œuvre de plus en plus importante, encourage la construction de nouveaux logements qui se développe autour du rond-point et le long des grands boulevards. Au niveau de l’aménagement urbain, on assiste donc à une densification continue des faubourgs, réaliser à l’intérieur d’îlots étroits créés par le nouveau réseau. Ce développement immobilier résidentiel se réalise le long de certains axes et toujours éloignées des rives.

La pointe de la Jonction est occupée par plusieurs usines et par la Compagnie Genevoise des Tramways Electriques, ce qui conduit à la création d’une ligne, contribuant à attirer la population ou encore les petites industries d'horlogerie ou de mécanique, qui viennent s'installer dans ce quartier jusqu’alors encore un peu excentré. A coté de l'usine à gaz, l'usine à vapeur de réserve a été édifiée en vue de compléter la production d'électricité de la centrale de Chèvres (en aval sur le Rhône).

En 1909 a lieu l'explosion de l'usine à gaz puis le prolongement de la rue du Stand. Le tracé des rues mis en place et la parcelle désormais occupée par les services industriels prend la forme qu'elle a conservée jusqu'à aujourd'hui.

En 1920, le développement du quartier connaît une légère reprise avec la densification des îlots et l’implantation des palais des expositions. Petites et grandes industries sont en pleine expansion, mais dans les années 30, la construction connaît un nouvel arrêt. On constate par contre l'apparition du petit bâti, souvent provisoire, lié en parti à de petites activités artisanales ou industrielles.

Dans la première décennie après-guerre, on introduit des nouveaux équipements et services publics telle que la radio, l'école de physique, la caserne des pompiers et en réalisant l'extension du palais des expositions.

Dans l’après-guerre, des nombreuses constructions voient le jour s’appropriant du sol de manière différente avec d’une part des bâtiments qui s'alignent au tracé régulateur du réseau, structurant donc l'espace, et les espaces intérieurs des îlots occupés eux de façon anarchique.

En 1943 on procède aux transferts des abattoirs à la Praille, ainsi qu'à la création des quais de l'Arve, ce qui donne au quartier un caractère plus mixte et moins industriel. 

Dans les années 1960-70, des opérations de densification urbaine sont établies, en général avec des logements bons marchés (cité Jonction, cité Carl-Vogt Honegger). Sur le site de la Jonction, les propositions de logements les plus diverses sont réalisées : prenons par exemple l'opération face au boulevard Carl-Vogt, où les bâtiments construits sur les anciens abattoirs, ou encore dans un autre style les petites tours de la rue des Maraîchers. Un autre aspect important, caractérisant cette période est l'implantation massive du secteur tertiaire.

En 1968, la construction du pont Sous-Terre donne naissance à un axe de transit considérable, isolant la pointe de la Jonction, du reste du quartier.

Depuis lors, la Jonction n'a plus connu de profondes transformations de son tissu urbain, mais une densification constante due en grand partie par l’installation d'autres administrations publiques ou privées sur ce territoire: hôtel des finances, université, radio et télévision.

A partir des années 1970, le quartier est confronté à la présence de bâtiments vides due au départ en banlieue de l'industrie et certains équipements vitaux pour la ville. Ces lieux seront repris en grande partie par les milieux culturels, toujours à la recherche d'endroits. Dans les années 1980, on assiste donc au processus de requalification et de réaffectation des anciens bâtiments industriels. Ainsi, l'usine de dégrossissage d'or est transformée en espace de représentations musicales et culturelles (l‘Usine), le Mamco (Musée d’art moderne et contemporain) prend possession de d’une partie des espaces de l'ancienne SIP alors que le Moulin à Danse s'installe en rue du Stand.

Dans les années 1990, on assiste à la rénovation et transformation de l’ancien bâtiment des Forces motrices en Grand-Théâtre pour la saison 97/98 ainsi qu’à l’inauguration (1996) de l’Auditorium Arditi-Wilsdorf (ex-Manhattan), à la place du Cirque.

La dernière opération est effectuée par une association d'artistes et d'artisans (Artamis) qui occupe une partie des bâtiments des services industriels pour créer un lieu de travail et d'échange et conclue avec la Ville et l'Etat un contrat de prêt d'usage trouvant ainsi un usage temporaire à ces locaux qui demeurent inoccupés jusqu'au début des futurs travaux. Le site va accueillir par la suite un projet d’écoquartier.

Aujourd'hui

Aujourd’hui le quartier de la Jonction présente une mixité de fonctions qui découle de son histoire. En effet sur ce territoire trouvent place des activités de loisirs (restaurants et bars), culturelles (théâtre, espaces d’exposition, université, etc.) mais aussi les administrations cantonales, des industries et petits artisanats et bien sûr du logement. Cette mixité rend ce quartier attirant autant le jour que la nuit et lui donne un caractère populaire, qu’on retrouve aussi dans la composition des classes sociales qui habitent le quartier.

Dans le développement de ce quartier, après 2007, nous pouvons également remarquer la volonté des pouvoirs publics d’intégrer davantage la Jonction dans le réseau des bus et des trams de l’agglomération, avec pour conséquence une redistribution du trafic de transit pas toujours à l'avantage des habitants et de la mobilité à l'intérieur du quartier. Une densification du territoire construit et une tendance à la gentrification du quartier, avec l'augmentation des loyers, s'observent également depuis les années 2000. La Jonction continue toutefois à préserver son rôle de quartier urbain, vivant et populaire.

 

SOURCES /

TEXTE EXTRAIT DE

P. Brun, A. Castoldi « Stratégies de développement durable pour la requalification d’un quartier urbain – Artamis, Genève », pp. 6-9. Travail pratique de diplôme, EPFL-ENAC- Département d’architecture, année académique 2003-2004. Directeur pédagogique : I. Lamunière. Professeur : P. Chuard.

 

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